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11 Février – JOYEUX ANNIVERSAIRE

 

 

Fichez-moi la paix ! Tous ! Vous ne pouvez rien faire !

La voix de Lena m’a tiré de quelques heures d’un sommeil agité. Sans réfléchir, j’ai enfilé un jean et un tee-shirt gris. J’étais obnubilé par une seule pensée : Jour Un. Nous pouvions désormais cesser d’attendre la fin.

La fin était arrivée.

sans éclat mais sur un cri plaintif sans éclat mais sur un cri plaintif sans éclat mais sur un cri plaintif

Lena était en train de péter un câble, et c’était à peine l’aube.

Le Livre. Merde, je l’avais oublié ! J’ai remonté les marches deux à deux jusqu’à ma chambre. J’ai tâtonné sur l’étagère la plus haute de mon armoire, prêt à subir la brûlure qu’impliquait le contact avec un ouvrage d’Enchanteur.

Sauf qu’elle n’a pas eu lieu. L’ouvrage avait disparu.

Le Livre des lunes. Notre livre. Parti. Or, nous en avions besoin, surtout aujourd’hui. Pendant ce temps, les gémissements de Lena résonnaient dans mon crâne.

ainsi s’achève le monde sans éclat mais sur un cri plaintif

Qu’elle récite du T.S. Eliot n’était pas bon signe. Attrapant les clés de la Volvo, j’ai foncé.

Le soleil se levait quand j’ai parcouru Dove Street. Greenbrier, l’unique champ vide de la ville aux yeux des habitants de Gatlin – choisi par conséquent pour accueillir la reconstitution de la bataille de Honey Hill –, commençait tout juste à prendre vie. Le plus amusant, c’est que je ne percevais même pas les tirs d’artillerie à l’extérieur à cause de ceux qui emplissaient ma tête.

 

Quand j’ai grimpé le perron de Ravenwood, Boo m’attendait en aboyant. Larkin était là lui aussi, appuyé à l’un des piliers de la véranda. En blouson de cuir, il jouait avec le serpent qui sinuait autour de son bras. Tantôt le membre était membre, tantôt il était reptile. Larkin changeait de forme aussi paresseusement qu’un joueur professionnel bat les cartes. L’espace d’un instant, j’ai été pris au dépourvu par ses illusions ; autant que par les jappements de Boo. D’ailleurs, je n’aurais su dire si le chien en avait après moi ou après Larkin. Boo appartenait à Macon, avec lequel je n’étais pas en très bons termes, suite à notre dernière entrevue.

— Salut, Larkin.

Il m’a adressé un signe de tête indifférent. L’air était froid, et son haleine formait un nuage pareil à celui d’une cigarette inexistante. Le nuage s’est étiré en un cercle avant de se transformer en un petit serpent blanc qui s’est mordu la queue et s’est dévoré lui-même jusqu’à disparaître.

— À ta place, je n’entrerais pas. Ta copine est un peu… comment dire ? Venimeuse.

Le reptile s’est enroulé autour de son cou pour devenir le col de son blouson. Tante Del a ouvert la porte à la volée.

— Enfin ! Nous t’attendions. Lena est enfermée dans sa chambre et ne veut voir personne.

Elle offrait un triste spectacle, avec son foulard qui pendait sur l’une de ses épaules, ses lunettes de travers et les mèches qui s’échappaient de son chignon gris déséquilibré. Je me suis penché pour la serrer dans mes bras. Il émanait d’elle une odeur identique à celle des placards des Sœurs, lavande et vieux draps transmis de génération en génération. Reece et Ryan se tenaient derrière elle, affichant les mines lugubres d’une famille attendant de mauvaises nouvelles dans un sinistre couloir d’hôpital.

Une fois encore, Ravenwood paraissait être plus en accord avec Lena et son humeur noire qu’avec celle de Macon – à moins qu’ils ne partagent le même pessimisme. Macon n’étant pas visible, je n’aurais su dire. Imaginez, si vous le pouvez, la couleur de la colère : elle était répandue sur tous les murs. La rage, ou une émotion équivalente en termes de densité et de bouillonnement, dégoulinait des lustres, l’amertume était tissée dans les épais tapis recouvrant les sols, la haine vacillait sous chaque abat-jour. Le parquet était plongé dans une ombre de mauvais augure, et une obscurité rampante grignotait le bas des cloisons et s’enroulait autour de mes Converse au point que je les distinguais à peine. Ténèbres Absolues.

Je n’ai pas vraiment détaillé la pièce, distrait que j’étais par ce qu’il en émanait – une sacrée fétidité. J’ai posé un pied prudent sur la première marche du grand escalier menant à la chambre de Lena. J’étais monté là-haut à des centaines de reprises, ce n’était pas comme si j’ignorais où ces gradins conduisaient. Pourtant, ils distillaient une impression très différente, ce jour-là. Tante Del a regardé ses filles tout en me suivant, comme si j’ouvrais la voie sur le chemin d’un champ de bataille incertain.

Quand j’ai grimpé la deuxième marche, toute la demeure a tremblé. Les centaines de bougies des lustres anciens se sont balancées au-dessus de ma tête, lâchant au passage des coulures de cire chaude qui m’ont brûlé le visage. En grimaçant, j’ai reculé d’un bond. Sans prévenir, l’escalier s’est cabré sous mes pieds et, d’une ruade, m’a envoyé valser sur les fesses. J’ai glissé sur le parquet poli de l’entrée. Si tante Del et Reece ont réussi à s’écarter à temps, j’ai entraîné la pauvre Ryan avec moi, telle une boule de bowling renversant des quilles. Me relevant, j’ai crié en direction de l’étage :

— Lena Duchannes ! Si jamais tu recommences à m’attaquer à coups d’escalier, je te dénonce en personne au conseil de discipline !

Je suis remonté sur la première marche, la deuxième. Il ne s’est rien passé.

— Je te garantis que j’appellerai M. Hollingsworth et que je n’hésiterai pas à apporter mon témoignage afin de prouver que tu es une folle furieuse. (J’ai escaladé les gradins deux à deux jusqu’au palier.) Tu as pigé ?

Soudain, sa voix a résonné dans mon esprit.

Tu ne comprends pas.

Je sais que tu as peur, L. Te couper des autres n’arrangera rien.

Va-t’en.

Non.

Je suis sérieuse, Ethan. Va-t’en. Je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce soit.

Je ne peux pas.

J’étais à présent devant sa porte. J’ai collé mon oreille au bois glacial du battant. J’avais envie d’être avec elle, aussi près d’elle que possible sans pour autant être victime d’une nouvelle crise cardiaque. Si elle refusait que j’entre, ça me convenait très bien pour l’instant.

Tu es là, Ethan ?

Oui.

J’ai peur.

Je sais, L.

Je ne veux pas que tu sois blessé.

Je ne le serai pas.

Je ne veux pas te quitter, Ethan.

Tu ne me quitteras pas.

Mais imagine que si ?

Je t’attendrai.

Même si je suis Vouée aux Ténèbres ?

Même si tu es Vouée aux pires Ténèbres.

Elle a ouvert la porte, m’a attiré à l’intérieur. La musique braillait. J’ai reconnu la chanson. C’en était une version furieuse, heavy metal, mais elle restait identifiable.

 

Seize lunes, seize années

Seize de tes pires peurs,

Seize songes de mes pleurs,

Tombent, tombent les années…

 

Lena avait l’air d’avoir pleuré toute la nuit. C’était sans doute le cas. Quand j’ai effleuré son visage, j’ai remarqué des traces de larmes. Je l’ai prise dans mes bras, je l’ai bercée, cependant que la chanson se poursuivait.

 

Seize lunes, seize années,

La foudre qui t’assourdit,

Seize lieues qu’elle franchit,

Seize peurs sont recherchées…

 

Par-dessus son épaule, j’ai constaté que la pièce était un vrai fouillis. L’enduit des murs s’était fissuré, se détachant par plaques, l’armoire était renversée – on aurait cru qu’un voleur avait mis à sac la chambre. Les fenêtres étaient cassées. Privés de carreaux, les croisillons avaient des allures de barreaux de prison dans quelque château fort d’antan. La prisonnière s’accrochait à moi, tandis que la mélodie nous enveloppait.

 

Seize lunes, seize années,

Seize songes de mes peurs,

Seize cris, un auditeur,

Seize sphères sont scellées…

 

Lors de ma dernière visite, le plafond était presque entièrement recouvert de mots détaillant l’état d’esprit de Lena. À présent, toutes les surfaces disponibles de la pièce étaient noircies par son écriture si particulière. Les bords du plafond : La solitude, c’est tenir celui qu’on aime / Quand on sait qu’on risque de ne plus jamais le tenir. Les murs : Même perdu dans les Ténèbres / Mon cœur te retrouvera. Les montants de la porte : L’âme meurt sous la main de qui la porte. Les miroirs : Si je pouvais trouver un endroit où fuir / J’y serais maintenant, bien cachée. Même la coiffeuse était salie de phrases : La lumière du jour la plus ténébreuse me trouve ici, ceux qui attendent guettent déjà, et celle qui semblait tout dire : Comment échappe-t-on à soi-même ? Son histoire était dans ces mots, dans la musique aussi.

 

Seize lunes, seize années,

Lune Appelle, approche l’heure,

Page où les Ténèbres meurent,

Don qui Scelle le brasier…

 

La guitare électrique a ralenti, et un nouveau couplet a retenti, le dernier. Enfin quelque chose qui avait une fin. Je me suis efforcé d’oublier la terre, le feu, l’eau et le vent oniriques afin d’écouter les paroles.

 

Seize lunes, seize années,

Vient le jour dont tu as peur,

Appeler, être Appelé,

Sang versé, larmes versées, Lune, soleil – chaos, honneur.

 

La guitare s’est tue, le silence s’est installé.

— Que crois-tu…

Elle a posé une main sur mes lèvres. Elle ne supportait pas d’en parler. Jamais je ne l’avais vue aussi à vif. Une brise froide volait autour de nous avant de s’échapper par la porte ouverte dans mon dos. Je ne sais pas si ses joues étaient glacées à cause du froid ou à cause des larmes ; je n’ai pas demandé. Tombant sur le lit, nous nous sommes roulés en boule. Il aurait été difficile de démêler quelles parties de corps appartenaient à qui. Nous ne nous sommes pas embrassés, mais c’était tout comme. Nous étions fondus l’un dans l’autre à un point que je n’aurais pas cru possible.

C’était sans doute cela, aimer quelqu’un et avoir le sentiment de le perdre. Même quand vous le serriez dans vos bras.

Lena frissonnait. Je devinais chacune de ses côtes, chacun de ses os. Ses tremblements étaient involontaires. Dégageant mon bras de sous son cou, j’ai attrapé l’édredon pour nous en couvrir. Lena s’est enfoncée dans ma poitrine, j’ai tiré la couette plus haut, par-dessus nos têtes, si bien que nous étions blottis dans une petite grotte noire. Nos haleines ont réchauffé notre antre. J’ai embrassé la bouche froide de Lena, qui m’a retourné mon baiser. Le courant électrique entre nous s’est intensifié, et elle a niché son nez dans mon cou.

Tu crois qu’on pourrait rester comme ça pour l’éternité, Ethan ?

On peut faire ce qu’on veut. C’est ton anniversaire.

Elle s’est raidie.

Je préfère l’oublier.

Je t’ai apporté un cadeau.

Elle a soulevé le couvre-lit afin de laisser passer un filet de lumière.

— Ah bon ? Je t’avais dit que ce n’était pas la peine.

— Depuis quand est-ce que je t’obéis ? Et puis, d’après Link, quand une fille te demande de ne pas lui offrir de cadeau pour son anniversaire, ça signifie : « T’as intérêt à me donner quelque chose, et assure-toi que ce sera un bijou. »

— Cette règle ne s’applique pas à toutes les filles.

— Très bien. Laissons tomber.

Elle a refermé l’édredon sur nous et s’est de nouveau nichée entre mes bras.

C’en est un ?

Un quoi ?

Un bijou.

Je croyais que tu ne voulais pas de cadeau.

Simple curiosité.

Retenant un sourire, je me suis extirpé de notre grotte. L’air glacé nous a aussitôt happés, et je me suis empressé de sortir un écrin de ma poche avant de replonger sous la couette que j’ai un peu écartée pour que Lena voie la boîte.

— Referme, il gèle.

J’ai obtempéré, et l’obscurité nous a de nouveau cernés. L’écrin s’est alors mis à luire d’une lueur verte, et j’ai distingué les doigts fins de Lena qui dénouaient le ruban gris argent. La lumière a forci, chaude, claire, éclairant doucement le visage de Lena.

— Un nouveau tour de passe-passe, ai-je dit en souriant.

— Oui. Il est apparu ce matin au réveil. Que j’y pense ou non, ça se produit.

— Pas mal.

Elle a contemplé l’écrin avec une sorte de tristesse, comme si elle se retenait le plus longtemps possible avant de l’ouvrir. L’idée m’a traversé l’esprit qu’elle ne recevrait peut-être pas d’autre présent aujourd’hui. Excepté la surprise-partie dont je ne comptais lui faire part qu’à la toute dernière minute.

Une surprise-partie ?

Houps.

Tu plaisantes, j’espère ?

Va dire ça à Ridley et Link.

Ah ouais ? La seule surprise, c’est qu’il n’y en aura pas.

Allez, déballe ton cadeau.

Avec un regard furibond, elle a obéi. Une source de lumière supplémentaire a jailli de la boîte, qui ne provenait en rien de son contenu. Les traits de Lena se sont adoucis, et j’ai deviné qu’elle ne me tenait plus rigueur de la fête. Sûrement le charme qu’opéraient les bijoux sur les nanas. Incroyable, non ? Après tout, Link avait raison.

Elle a soulevé le collier délicat et brillant, une chaînette à laquelle était accroché un anneau façonné dans trois ors différents, rose, jaune et blanc, qui formaient une tresse.

Ethan ! Je l’adore !

Elle m’a embrassé une bonne centaine de fois, cependant que je parlais, me sentant obligé de lui expliquer avant qu’elle ne mette le collier, avant qu’il ne se produise quelque chose.

— Il appartenait à ma mère. Je l’ai pris dans son coffret à bijoux.

— Tu es sûr de vouloir me le donner ?

J’ai acquiescé. Inutile de prétendre que ça avait été aisé. Lena savait ce que je ressentais pour ma mère. Ça avait été difficile, et j’étais soulagé que nous l’admettions, elle comme moi.

— Ce truc n’a rien de rare, ce n’est pas un diamant, mais ça a de la valeur à mes yeux. Je crois qu’elle aurait été d’accord pour que je te l’offre parce que… ben, tu sais.

Quoi ?

Ah !

— Tu vas m’obliger à l’épeler ? ai-je demandé d’une voix bizarre, tremblante.

— Sans vouloir te vexer, tu n’es pas très bon en orthographe.

J’avais beau esquiver, elle ne me lâcherait pas tant que je ne l’aurais pas formulé tout fort. Personnellement, je préférais notre système de communication silencieux. Cela rendait la parole, la vraie, plus aisée pour un type comme moi. Après avoir écarté les cheveux qui tombaient sur sa nuque, j’ai attaché le collier juste au-dessus de celui qu’elle n’enlevait jamais. Il pendait à son cou, étincelant dans la lumière.

— Parce que tu es spéciale, pour moi.

Spéciale comment ?

Il me semble que la réponse est accrochée à ton cou.

J’ai beaucoup de choses, autour du cou.

J’ai effleuré sa collection de babioles. Elles ressemblaient à des merdouilles, la plupart en étaient, les merdouilles les plus importantes au monde. Elles étaient devenues miennes, désormais. Une piécette écrasée et percée, tirée d’un des distributeurs automatiques du cinéma où nous étions allés pour notre premier rancard. Un fil de coton provenant du pull rouge qu’elle portait quand nous nous étions garés derrière le château d’eau, une sorte de blague que seuls nous partagions. Le bouton en argent que je lui avais donné pour lui porter chance avant le conseil de discipline. La petite étoile de Noël qu’avait fabriquée ma mère.

Alors, tu devrais déjà connaître la réponse.

Une fois encore, elle m’a embrassé, un baiser authentique. Le genre de baiser qu’on ne pouvait pas réellement qualifier de baiser, le genre de baiser qui impliquait un méli-mélo de bras, de jambes, de cous et de cheveux, le genre de baiser qui a expédié le couvre-lit au sol, qui a amené les fenêtres à se réparer d’elles-mêmes, le bureau à se redresser, les vêtements à retourner sur leurs cintres, et la pièce glacée à redevenir tiède. Une flamme a jailli dans la petite cheminée glacée, source de chaleur qui n’avait rien de comparable à la fièvre qui parcourait mon corps. La décharge électrique qui m’a secoué a atteint une violence inégalée, et les battements de mon cœur se sont accélérés.

Hors d’haleine, j’ai reculé.

— Où est Ryan quand on a besoin d’elle ? Nous allons devoir trouver une solution à ce phénomène.

— Ne t’inquiète pas, elle est en bas.

Lena m’a attiré contre elle, et le feu a pétillé plus fort, menaçant d’engloutir l’âtre sous ses flammes et ses volutes de fumée.

Les bijoux, c’est quelque chose, croyez-moi. L’amour aussi.

Le danger également, peut-être.

 

— J’arrive, oncle Macon ! a crié Lena avant de se tourner vers moi et de soupirer. J’imagine que nous ne pouvons plus tergiverser. Il faut que nous descendions retrouver les miens.

Elle a fixé la porte, qui s’est déverrouillée toute seule. Tout en lui frottant le dos, j’ai grimacé. C’était fini.

Le crépuscule était tombé quand nous sommes sortis. Vers midi, j’avais plus ou moins pensé que nous devrions nous faufiler en bas pour rendre visite à Cuisine, mais Lena s’était bornée à fermer les yeux, et un chariot de service en chambre avait roulé dans la pièce. Soit Cuisine était désolée pour elle, soit elle ne résistait pas mieux que moi à ses pouvoirs récemment développés. J’avais dévoré mon poids en gaufres aux pépites de chocolat trempées dans du sirop au chocolat, le tout arrosé de lait chocolaté. Lena s’était contentée d’un sandwich et d’une pomme. Puis tout s’était dissous dans de nouveaux baisers.

Je pense qu’elle comme moi étions conscients qu’il n’y aurait peut-être pas d’autre journée comme celle-ci. Et puis, que pouvions-nous faire ? La situation était inextricable, et si nous devions n’avoir qu’aujourd’hui, autant le passer ainsi. En réalité, j’étais aussi terrifié qu’heureux. Il n’était pas encore l’heure de dîner, et je venais de vivre la plus chouette mauvaise journée de mon existence.

Main dans la main, nous sommes descendus au rez-de-chaussée. L’atmosphère était encore tiède, signe que Lena était de meilleure humeur. Ses colliers brillaient, et des bougies dorées et argentées flottaient dans l’air, nous accompagnant le long de l’escalier. Je n’avais pas l’habitude de voir Ravenwood aussi illuminé, aussi festif. Pendant un instant, j’ai eu l’impression de célébrer un véritable anniversaire, durant lequel les joyeux invités ont le cœur léger. Ça n’a duré qu’une seconde.

Puis j’ai découvert Macon et tante Del. Tous deux tenaient des chandelles et, derrière eux, la demeure était voilée d’obscurité et de noirceur. Des ombres chinoises se découpaient sur le fond, également armées de bougies. Pire, Macon et Del avaient revêtu de longues tuniques foncées, tels les acolytes d’un ordre étrange, pareils à un druide et à une druidesse. Bref, cela n’avait plus rien d’une fête d’anniversaire ; ça tenait plutôt à d’effrayantes funérailles.

Joyeux anniversaire ! Pas étonnant que tu aies voulu rester confinée dans ta chambre.

Tu comprends, maintenant.

Lorsque Lena a atteint la dernière marche, elle s’est arrêtée pour me regarder. Elle semblait tellement déplacée, dans son jean usé et mon sweat-shirt à capuche aux couleurs de Jackson trop grand pour elle. À mon avis, elle n’avait jamais été habillée ainsi. Sans doute, elle souhaitait conserver un morceau de moi sur elle aussi longtemps que possible.

N’aie pas peur. Il s’agit juste d’une cérémonie du Sceau. Pour me préserver jusqu’au lever de la Lune. L’Appel ne peut se produire avant que la Lune soit à son zénith.

Je n’ai pas peur, L.

Je sais. C’est à moi que je parlais.

 

Me lâchant, elle a franchi le dernier gradin. Quand elle a effleuré le plancher noir poli, elle a été transformée. Les sombres tuniques flottantes du Sceau cachaient à présent les courbes de son corps. Le noir de sa chevelure et celui du tissu se mêlaient pour former une ombre qui la dissimulait de la tête aux pieds, à l’exception de son visage, aussi pâle et luminescent que la Lune. Elle a caressé sa gorge, l’anneau de ma mère pendu à son cou. J’ai espéré qu’il lui rappellerait que j’étais là, à ses côtés. Comme j’avais espéré que c’était ma mère qui avait essayé de nous aider depuis le début.

 

Que vont-ils te faire ? Ce n’est pas une sorte de rite païen flippant plein de sous-entendus sexuels, hein ?

Elle a éclaté de rire. Tante Del l’a contemplée avec horreur. Reece a lissé sa robe avec raideur, affichant des airs supérieurs, tandis que Ryan se mettait à glousser.

— Un peu de tenue ! a grondé Macon.

Larkin, qui se débrouillait pour avoir une allure aussi cool en aube qu’en blouson de cuir, a ricané. Lena a enfoui son hilarité dans les plis de son vêtement de cérémonie. À la lueur des bougies, j’ai distingué les visages les plus proches de moi : Macon, Del, Lena, Larkin, Reece, Ryan et Barclay. Étaient également présents des personnages moins familiers : Arelia, la mère de Macon, ainsi qu’une vieille dame à la peau ridée et burinée qui tricotait. De l’endroit où je me tenais, la ressemblance avec sa petite-fille était telle que je l’ai immédiatement identifiée. Lena l’a repérée en même temps que moi.

— Bonne-maman !

— Bon anniversaire, chérie.

Le cercle s’est brisé, brièvement, tandis que Lena se précipitait pour enlacer la femme aux cheveux blancs.

— Je ne savais pas que tu viendrais !

— Ça allait de soi, voyons. Je voulais te faire la surprise. La Barbade n’est pas si loin. Le voyage n’a duré que le temps d’un clin d’œil.

Une expression à prendre au pied de la lettre, n’est-ce pas ? Qu’est-elle ? Une Voyageuse, un Succube comme Macon est un Incube ?

Rien qu’une passagère dotée d’une carte de fidélité sur United Airlines, Ethan.

J’ai perçu l’émotion de Lena, un bref instant de soulagement, même si moi, je me sentais de plus en plus étrange. Certes, mon père était bon pour l’asile, ma mère était morte, et la femme qui m’avait élevé connaissait un ou deux trucs dans l’art du vaudou ; rien de tout cela ne me dérangeait. N’empêche, cerné par des Enchanteurs professionnels porteurs de bougies et de tuniques, j’avais l’impression que j’aurais eu besoin d’en savoir beaucoup plus que ce à quoi m’avait préparé la vie en compagnie d’Amma. Avant qu’ils ne se mettent au boulot, avec latin, Sceau et tout le bataclan.

Trop tard ! Macon a avancé d’un pas. Il a brandi sa chandelle.

— Cur luna hac vinctum convenimus ?

Tante Del l’a rejoint. La flamme de sa bougie a vacillé quand elle l’a levée.

— Pourquoi sommes-nous réunis sous la Lune pour le Sceau ? a-t-elle traduit.

Le cercle a réagi d’une seule voix :

— Sextusdecima luna, sextusdecimo anno, illa capietur.

Lena leur a répondu en anglais. Sa chandelle s’est embrasée avec une telle ardeur que j’ai craint pour son visage.

— Lors de la seizième lune, lors de la seizième année, elle sera Appelée.

Elle était au milieu de la ronde, la tête haute, les traits éclairés par les lueurs des bougies. La sienne a d’ailleurs viré à un drôle de vert.

Que se passe-t-il, L ?

Ne t’en fais pas. Ce n’est qu’une partie du rite.

Si tel était le cas, l’Appel risquait d’être quelque chose ! Macon a entonné le chant que j’avais entendu à Halloween. Comment se nommait-il, déjà ?

 

Sanguis sanguinis mei, tutela tua est.

Sanguis sanguinis mei, tutela tua est.

Sanguis sanguinis mei, tutela tua est.

Sang de mon sang, la protection est tienne !

 

Un Cercle Sanguinis. C’était ça. Lena a blêmi. Elle a brandi sa chandelle au-dessus de sa tête et a fermé les paupières. La flamme verte s’est muée en geyser d’un rouge orangé, contaminant les flammes de toutes les bougies alentour.

— Lena ! ai-je crié.

Elle n’a pas réagi. Le cercle de feu s’élançait dans l’obscurité, si haut que je me suis rendu compte qu’il ne pouvait y avoir de plafond ni de toit, ce soir à Ravenwood. Je me suis vivement protégé les yeux du bras tant la lumière était brûlante et aveuglante. Toutes mes pensées étaient tournées vers Halloween. Et si la scène d’alors répétait ? J’ai essayé de me souvenir de ce qu’ils avaient fait cette nuit-là pour combattre Sarafine. Qu’avaient-ils psalmodié ? Comment la mère de Macon avait elle appelé ça ? Le Sanguinis. Sauf que j’avais oublié les mots, que je ne connaissais pas le latin et que, une fois n’est pas coutume, je regrettais de ne pas l’avoir étudié.

Brusquement, des coups frappés à la porte ont retenti. Aussitôt, les flammes se sont éteintes. Les tuniques, le feu, les chandelles, l’obscurité, les lumières ont disparu. Se sont évaporés, tout simplement. En un rien de temps une scène familiale ordinaire les a remplacés, des gens réunis autour d’un gâteau d’anniversaire. Qui chantaient le refrain traditionnel.

Qu’est-ce que…

— … « Joyeux anniversaire, Lena ! Joyeux anniversaire ! »

Les dernières notes de la chanson se sont tues, cependant qu’on continuait de tambouriner à la porte. Une pâtisserie énorme à trois étages dans des tons de rose, de blanc et d’argent reposait sur la table basse au milieu du salon, de même qu’un luxueux service à thé et des serviettes blanches. Lena a soufflé ses bougies et a chassé la fumée de la main. Les membres de la famille ont applaudi. De nouveau vêtue de son jean et de mon sweat-shirt, elle ressemblait à n’importe quelle gamine de seize ans.

— Bravo, chérie !

Bonne-maman s’est débarrassée de son tricot pour couper le gâteau, cependant que Del s’affairait à servir le thé. Reece et Ryan ont apporté un immense tas de cadeaux, tandis que Macon trônait dans son fauteuil à oreillettes victorien et sirotait du whisky en compagnie de Barclay.

C’est quoi, ça, L ? Que s’est-il passé ?

Quelqu’un frappe. Ils se montrent prudents, rien de plus.

Ta famille me tue, L.

Prends une part de gâteau. Ceci est censé être un anniversaire, tu te souviens ?

Du côté de l’entrée, le visiteur insistait. Larkin nous a regardés par-dessus son triangle de framboisier, la pâtisserie favorite de Lena.

— Quelqu’un compte aller voir ?

Brossant une miette de sa veste en cachemire, Macon l’a contemplé avec calme.

— Occupe-t’en, Larkin.

Puis il a fixé sa nièce et a légèrement secoué la tête. Elle n’ouvrirait à personne ce soir. Acquiesçant, elle s’est blottie contre sa grand-mère et lui a souri au-dessus de son assiette, telle la petite-fille attentionnée qu’elle était en réalité. Elle a tapoté le coussin voisin du sien. Formidable. L’heure était venue de faire la connaissance de son aïeule.

Soudain, une voix familière a résonné dans le hall, et j’ai compris que je préférerais rencontrer n’importe quelle mémé plutôt que d’affronter ce qui nous attendait. Ont en effet surgi Ridley et Link, Savannah, Emily, Eden et Charlotte, suivis de toute l’équipe de basket de Jackson. Aucun n’arborait l’uniforme qui leur était devenu quotidien, le tee-shirt des Anges Gardiens. Je me suis brusquement rappelé pourquoi. La reconstitution. Une tache de boue salissait la joue d’Emily. Je me suis alors rendu compte que Lena et moi en avions loupé l’essentiel. Notre année d’histoire ne serait par conséquent pas validée. À l’heure qu’il était, la bataille était terminée, sauf pour les ultimes combats nocturnes que suivrait un feu d’artifice. En un tout autre jour, me payer un F m’aurait fort contrarié. Bizarre.

— Surprise ! ont beuglé les nouveaux venus.

C’était peu dire. Une fois encore, j’avais permis au chaos et au danger de se frayer un chemin jusqu’à Ravenwood. La petite troupe s’est massée sur le seuil du salon. Depuis le canapé, Bonne-maman leur a adressé un petit coucou Macon sirotait sa boisson en gardant sa contenance, comme toujours. Il fallait le connaître pour s’apercevoir qu’il n’était pas loin d’exploser. À la réflexion, pourquoi Larkin les avait-il invités à entrer ?

Dis-moi que j’hallucine.

La fête. J’avais oublié.

Emily s’est postée à l’avant de ses amis.

— Où est l’heureuse élue ?

Elle a tendu les bras, l’air de vouloir enlacer Lena. Cette dernière s’est recroquevillée sur elle-même, mais on ne décourageait pas l’autre aussi facilement. Elle a crocheté le bras de Lena comme si elles étaient des amies qui se retrouvaient après une longue séparation.

— Nous avons préparé cette fiesta toute la semaine. Il y a un orchestre, et Charlotte a loué des guirlandes électriques pour qu’on y voie quelque chose. Il faut dire que les jardins de Ravenwood sont tellement sombres !

Baissant la voix à la manière d’une trafiquante s’adonnant au marché noir, elle a ajouté :

— En plus, nous avons de l’alcool de pêche.

— Tu verrais ça ! a renchéri Charlotte avec son accent traînant, essoufflée à cause de son jean trop étroit. Il y a une machine laser. Une rave à Ravenwood, si c’est pas cool ? Exactement comme celles de la fac à Summerville.

Une rave ? Ridley s’était mise en quatre. Emily et Savannah organisant une bringue en l’honneur de Lena et rampant devant elle comme si elle était leur Reine des Neiges ? Ça avait dû être encore plus difficile que de leur demander de sauter du haut d’une falaise.

— Et maintenant, montons dans ta chambre pour te faire belle, heureuse élue !

Charlotte ressemblait plus que d’ordinaire à une cheerleader, alors qu’elle en faisait déjà toujours trop. Lena était blême. Sa chambre ? Alors que la moitié de ses graffitis devaient évoquer ces pestes ?

— Mais qu’est-ce que tu racontes, Charlotte ? est intervenue Emily en serrant l’épaule de Lena. Elle est splendide, telle quelle. N’est-ce pas, Savannah ?

Elle a adressé une moue réprobatrice à la gaffeuse, l’air de penser qu’elle aurait intérêt à lever le pied sur les biscuits et à faire des efforts pour être aussi splendide que Lena.

— Tu rigoles ? a répondu Savannah. Je serais prête à tuer pour des cheveux pareils. Ils sont tellement… noirs. C’est stupéfiant.

Elle a enroulé une des mèches de Lena autour de son doigt.

— Les miens aussi étaient noirs, l’an dernier, a protesté Eden. Les racines, en tout cas.

En effet, elle se les était teintes, laissant le sommet blond, lors de l’une de ses malheureuses tentatives pour se distinguer. Savannah et Emily s’étaient moquées d’elle de manière impitoyable, si bien qu’elle avait renoncé à cette originalité dès le jour suivant.

— Toi, tu ressemblais à une mouffette, alors qu’elle, elle a des allures d’Italienne, a répliqué Savannah en souriant à Lena.

— Allons-y, a décrété Emily. Tout le monde t’attend.

Elle a tiré Lena par le bras. Celle-ci s’est dégagée.

Ça sent le coup fourré.

Sûrement, mais pas comme tu l’imagines. Il porte la signature d’une Sirène à sucette.

Ridley. J’aurais dû m’en douter.

Lena a regardé tante Del et oncle Macon. Ils étaient horrifiés, comme si tout le latin du monde ne les avait pas préparés à cela. Peu habituée à ce type d’anges, Bonne-maman a souri.

— Inutile de vous précipiter, a-t-elle dit. Voulez-vous une tasse de thé, les enfants ?

— Salut, Bonne-maman ! a lancé Ridley depuis la porte d’entrée.

Elle était restée sur la véranda et léchait sa sucette rouge avec une ferveur qui m’a amené à songer que, si elle cessait, toute cette mise en scène risquait de s’écrouler, tel un château de cartes. Je n’étais pas là pour lui permettre de pénétrer dans la maison, cette fois. Elle se tenait à quelques centimètres de Larkin, qui semblait amusé mais lui bloquait le passage. Ridley débordait d’une veste moulante à lacets qui ressemblait à un croisement entre de la lingerie et ce qu’aurait pu porter la fille figurant sur la couverture d’un magazine porno. Une jupe en jean taille basse complétait cet accoutrement.

— Surprise, surprise ! a-t-elle ajouté en s’adossant au chambranle de la porte.

Posant sa tasse de thé, Bonne-maman a repris son tricot.

— Quel plaisir de te revoir, Ridley chérie ! Ton nouveau look est très seyant. Je suis sûr qu’il va te valoir des tas de conquêtes masculines.

Elle a adressé un sourire innocent à sa petite-fille, même si son regard restait de glace. Ridley s’est renfrognée, n’en a pas moins continué à déguster sa friandise.

— Il te faut combien de coups de langue, Rid ?

— Pour quoi faire, Courte Paille ?

— Pour amener Savannah Snow et Emily Asher à organiser une fête en l’honneur de Lena.

— Plus que tu ne l’imagines, L’Amoureux.

Elle m’a tiré la langue, ce qui m’a permis de constater qu’elle était striée de traînées rouges et mauves. Un spectacle vertigineux. Poussant un soupir, Larkin s’est tourné vers les adultes.

— Il y a une bonne centaine de mômes dans le champ, a-t-il annoncé. Ainsi qu’une estrade, des haut-parleurs, et des voitures garées tout le long de la route.

— C’est vrai ? a sursauté Lena avant d’aller regarder par la fenêtre. Oui, ils ont dressé une scène au milieu des magnolias.

— Mes magnolias ? a rugi Macon en se levant.

Toute l’affaire était une farce. À chaque coup de langue suggestif, Ridley donnait vie à cette fête. Lena en était consciente. N’empêche, une part d’elle avait envie d’y aller, c’était visible dans ses yeux. Une surprise-partie où tout le bahut débarquait, cela devait figurer sur sa liste de lycéenne normale. Elle était capable d’affronter son destin d’Enchanteresse ; elle en avait assez d’être exclue de la vie, cependant.

— Tu ne les obligeras pas à partir, a dit Larkin à Macon. Autant laisser faire. Je resterai près d’elle. Moi ou Ethan.

Link s’est frayé un chemin jusqu’à moi.

— Allons-y, mec. Mon groupe, les Crucifix Vengeurs, c’est nos débuts à Jackson. Ça va être géant.

Il était heureux comme jamais. J’ai jeté un coup d’œil soupçonneux à Ridley, qui a haussé les épaules en mordillant sa sucette.

— Nous n’irons nulle part, ai-je riposté. Pas ce soir.

J’étais scotché que Link soit là. Si sa mère l’apprenait, elle aurait une attaque. Larkin a regardé Macon, qui était irrité, puis tante Del, qui était paniquée. Ni l’un ni l’autre ne désiraient perdre de vue Lena. Pas aujourd’hui en tout cas.

— Non, a décrété Macon sans même prendre le temps d’y réfléchir.

— Cinq minutes, a plaidé Larkin.

— Hors de question.

— Quelle sera la prochaine occasion où tous ses camarades lui organiseront une fête ?

— Aucune, avec un peu de chance.

Le visage de Lena s’est fermé. J’avais eu raison, elle avait envie de participer à l’événement, quand bien même il était artificiel. Comme le bal ou un match de basket. Telles étaient les raisons premières qui la poussaient à fréquenter un lycée, aussi horrible soit la façon dont on l’y traitait. C’était pour ça qu’elle y était venue, jour après jour, même si elle en était réduite à déjeuner sur les gradins et à s’asseoir du côté de l’œil valide de la mère English. Elle avait seize ans, Enchanteresse ou pas. Elle ne souhaitait être que cela, une nana de seize ans, au moins l’espace d’une nuit.

Il n’y avait qu’une personne qui fût aussi têtue que Macon Ravenwood. Lena. Pour peu que je ne me trompe pas, il ne ferait pas le poids face à sa détermination. Pas ce soir. S’approchant de lui, elle a noué son bras autour du sien.

— Je sais que ça paraît fou, oncle M, mais puis-je y aller ? Rien qu’un moment ? Juste pour écouter le groupe de Link ?

J’ai guetté l’agitation de ses boucles, annonce du Souffle Enchanteur. Elles n’ont pas bougé. Elle avait décidé de ne pas utiliser la magie des Enchanteurs mais une autre, très différente. Elle était consciente qu’elle ne réussirait pas à tromper la surveillance de Macon par un sortilège. Il fallait qu’elle recoure à une magie plus ancienne, plus forte, à celle qui avait été la plus efficace depuis qu’elle avait emménagé à Ravenwood. Celle du bon vieil amour.

— Pourquoi tiens-tu à accompagner ces gens, après tout ce qu’ils t’ont infligé ? a-t-il demandé, déjà plus tendre.

— Je n’ai pas envie de fréquenter ces filles, juste d’aller à la soirée, a-t-elle nuancé.

— Tu es contradictoire, s’est-il agacé.

— Je sais. C’est bête, mais je veux sentir ce que c’est d’être normal. Je veux assister à un bal sans le détruire. Je veux participer à une bringue à laquelle on m’a invitée. D’accord, Ridley est derrière tout ça. Est-ce mal que je m’en moque ?

Elle a levé les yeux sur lui, s’est mordillé la lèvre.

— Je ne peux pas te le permettre. Même si je le désirais. C’est trop dangereux.

— Ethan et moi n’avons jamais dansé, oncle M. Tu l’as dit toi-même.

Un instant, j’ai cru qu’il allait céder. Ça n’a pas duré.

— Eh bien, voici ce que je ne t’ai pas dit : prends-en l’habitude. Moi, je n’ai pas mis les pieds dans un lycée de ma vie, je ne me suis même pas baladé en ville un samedi après-midi. À chacun ses déceptions.

Lena a joué sa dernière carte.

— Mais c’est mon anniversaire. Tout est possible. Je tiens là ma dernière occasion, peut-être…

Sa dernière occasion de danser avec son petit ami. D’être elle-même. D’être heureuse. Elle n’a pas eu besoin de le formuler. Nous avions tous très bien compris.

— Je sais ce que tu ressens, Lena. Cependant, ta sécurité dépend de moi. Surtout ce soir. Tu dois rester ici. Les Mortels ne t’apporteront que péril et souffrance. Tu ne peux pas être normale. Tu n’as pas été conçue pour être normale.

C’était la première fois qu’il était aussi direct avec elle. Son allusion concernait-elle la fête ou moi ? Difficile à déterminer. Si les prunelles de Lena ont brillé, elle n’a pas fondu en larmes.

— Pourquoi ça ? a-t-elle insisté. Qu’y a-t-il de mal à désirer ce qu’ils ont ? Ne t’es-tu jamais demandé s’il leur arrivait d’avoir raison ?

— Et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Tu es une Élue. Un jour, tu iras quelque part où Ethan ne pourra pas te suivre. Chacune des minutes que vous passez ensemble aujourd’hui constituera un fardeau supplémentaire à porter pour le reste de ton existence.

— Il n’est pas un fardeau.

— Oh que si ! Il te rend faible, ce qui le rend dangereux.

— Il me rend forte, ce qui n’est dangereux que pour toi.

— Allons, monsieur Ravenwood, me suis-je interposé, pas de ça ce soir, s’il vous plaît.

Il était trop tard, hélas. Lena était furieuse.

— D’ailleurs, qui es-tu pour en parler ? a-t-elle enchaîné. Toi qui n’as jamais eu de fardeau à porter, vu que tu n’as jamais eu de relation avec quiconque, pas même avec un ami. Tu n’y connais rien. Comment aurais-tu pu ? Tu dors toute la journée et tu rumines la nuit dans ta bibliothèque. Tu détestes la Terre entière, tu te crois meilleur que les autres. Et puisque tu ignores ce qu’est l’amour, tu ne peux savoir ce que je ressens.

Sur ce, elle a tourné les talons et a grimpé l’escalier à toutes jambes. Boo l’a suivie. La porte de sa chambre a claqué, envoyant des échos dans le hall. Le chien s’est couché devant.

Bien qu’elle ne soit plus là, Macon fixait des yeux la direction qu’elle avait prise. Puis il m’a regardé.

— Je ne pouvais le permettre, je suis certain que vous le comprenez.

J’avais beau être conscient que ceci était la nuit la plus périlleuse qui soit pour Lena, je me disais aussi que c’était peut-être sa dernière chance d’être la fille que nous aimions tous. Je comprenais, oui. Seulement, je n’avais pas envie d’être dans la même pièce que Macon.

— Alors, cette fête, a lancé Link, elle va avoir lieu ou non ?

Larkin a attrapé son blouson.

— Sortons, a-t-il déclaré. Allons bringuer en l’honneur de Lena, même si c’est sans elle.

Emily lui a emboîté le pas, le reste de la troupe dans son sillage. Ridley m’a contemplé et a haussé les épaules.

— J’aurais essayé, a-t-elle murmuré.

— Allez, Ethan, m’a dit Link, près de la porte. Viens, mec.

J’ai levé la tête vers l’étage.

Lena ?

— Je préfère rester ici.

— Je ne crois pas qu’elle redescendra de sitôt, Ethan, est intervenue Bonne-maman. Pourquoi n’accompagnes-tu pas tes amis ? Tu reviendras aux nouvelles dans quelques minutes, d’accord ?

Je ne voulais pas sortir. C’était sans doute notre dernière nuit ensemble. Même si nous devions être confinés dans sa chambre, je serais avec elle.

— Viens au moins écouter ma nouvelle chanson, mec, a insisté Link, ses baguettes à la main.

— Très bonne idée, a renchéri Macon en se versant un nouveau scotch. Vous pourrez nous rejoindre tout à l’heure, Ethan. Entre-temps, nous autres devons discuter de certaines choses.

Autrement dit, j’étais congédié.

— Rien qu’un morceau, ai-je concédé. Ensuite, j’attendrai dehors. Mais pas longtemps.

 

Le champ derrière Ravenwood était bondé. La scène installée à sa lisière était éclairée par des lampes portables, comme celles qu’ils utilisaient pour la reconstitution des escarmouches nocturnes de Honey Hill. Les haut-parleurs déversaient une musique assourdissante, qu’il était cependant difficile d’entendre, avec le bruit des canons au loin.

Derrière Link, j’ai gagné l’estrade où les Crucifix Vengeurs installaient leur matériel. Ils étaient trois, dans la trentaine. Le type qui réglait l’amplificateur de sa guitare avait les bras couverts de tatouages et ce qui ressemblait à une chaîne de moto autour du cou. Les cheveux noirs hérissés du bassiste allaient de pair avec ses yeux lourdement maquillés. Le troisième était percé dans tellement d’endroits qu’on avait mal rien qu’à le regarder. D’un bond, Ridley s’est assise au bord de la scène et a agité la main en direction de Link.

— Attends un peu de nous avoir écoutés, m’a confié ce dernier. Ça déménage. Dommage que Lena ne soit pas là.

— Je m’en serais voulu de te décevoir.

Surgissant derrière nous, Lena a noué ses bras autour de ma taille. Ses yeux étaient rouges et mouillés de larmes mais, dans le noir, elle ressemblait à tout le monde.

— Que s’est-il passé ? Ton oncle a changé d’avis ?

— Pas exactement. Ce qu’il ignore ne peut l’offenser, n’est-ce pas ? D’ailleurs, je me fiche qu’il l’apprenne. Il est odieux, ce soir.

Je n’ai pas relevé. Jamais je ne saisirais pleinement leurs relations, pas plus qu’elle n’était en mesure de saisir celles qui m’unissaient à Amma. Je me doutais toutefois qu’elle allait s’en vouloir beaucoup, quand tout cela serait terminé. Elle ne supportait pas qu’on dénigre son oncle, y compris lorsque c’était moi qui le faisais. Qu’elle prenne la relève à son tour risquait d’empirer les choses.

— Tu as filé à l’anglaise ?

— Oui. Avec l’aide de Larkin.

Ce dernier s’est approché de nous, un gobelet en plastique à la main.

— On n’a seize ans qu’une fois dans sa vie, non ? a-t-il rigolé.

Ce n’est pas une bonne idée, L.

J’ai juste envie de danser. Ensuite, on rentrera.

— Je t’ai écrit une chanson pour ton anniversaire, Lena, a annoncé Link en montant sur l’estrade. Tu vas l’adorer.

— Comment s’appelle-t-elle ? ai-je demandé, suspicieux.

— Seize Lunes. Tu te souviens ? Ce drôle de morceau que tu ne retrouvais jamais sur ton iPod ? Il m’est revenu en tête sans crier gare la semaine dernière. Rid m’a un peu aidé, je l’admets. Elle est comme ma muse, j’imagine.

J’en étais sans voix. Lena ne m’a pas laissé le temps de réfléchir, cependant. Elle a pris mon bras, tandis que Link, impossible à arrêter maintenant, s’emparait du micro et le fixait sur son pied, juste au niveau de sa bouche. Presque à l’intérieur de sa bouche, pour être honnête, ce qui était un peu dégueu. Il avait beaucoup trop regardé MTV chez Earl. Mais il fallait lui reconnaître ça : il ne manquait pas de courage, vu que, vengeur ou non, il allait se faire crucifier en moins d’une minute.

Assis derrière sa batterie, baguettes dressées, il a fermé les paupières.

— Un, deux, trois.

Le guitariste, le mal aimable à la chaîne, a pincé une corde. Le son a été atroce, et les amplificateurs se sont mis à couiner, à l’autre bout de l’estrade. J’ai grimacé. Ça allait être un massacre. Puis le gars a lancé une deuxième note, une troisième.

— Mesdames et messieurs ! a braillé Link. Enfin, pour peu qu’il y ait des dames et des messieurs ici (une vague de rires a secoué la foule). J’aimerais souhaiter un joyeux anniversaire à Lena. Et maintenant, tapez dans vos mains pour la première mondiale de mon nouveau groupe, les Crucifix Vengeurs.

Link a adressé un clin d’œil à Ridley. Il se prenait vraiment pour Mick Jagger, ce débile. J’en ai eu mal pour lui. J’ai saisi la main de Lena et j’ai aussitôt eu l’impression d’avoir plongé les doigts dans un lac, l’hiver, quand l’eau est tiède en surface à cause du soleil et glaciale en dessous. J’ai tremblé de froid, mais je ne l’ai pas lâchée pour autant.

— J’espère que tu es préparée. Il va se faire descendre en flammes. Nous serons de retour dans ta chambre d’ici moins de cinq minutes, crois-moi.

— Je n’en suis pas aussi sûre que toi, a-t-elle répondu.

Trônant près des musiciens, Ridley souriait et agitait la main comme une groupie. Ses cheveux s’agitaient, des mèches roses et blondes qui fourchaient sur ses épaules.

La mélodie familière a retenti, et Seize Lunes a rugi dans les amplis. Sauf que, cette fois, ça ne ressemblait en rien aux chansons habituelles des maquettes de Link. Le groupe était bon, excellent, même. D’ailleurs, l’assistance s’est lâchée, comme si le lycée Jackson avait enfin l’occasion de danser, après le fiasco du bal d’hiver. Pourtant, nous étions à Ravenwood, la plantation la plus infâme et la plus crainte de Gatlin. L’énergie ambiante m’a stupéfié. L’assemblée se trémoussait, et la moitié des gens chantaient. Ce qui était dingue, vu que personne ne connaissait les paroles. Même Lena a souri, et nous nous sommes mis à nous balancer avec les autres, parce que, franchement, le rythme était irrésistible.

— Ils jouent notre chanson.

— Oui, c’est ce que je me disais.

— Je sais, a-t-elle acquiescé en nouant ses doigts autour des miens, déclenchant mes frissons. Ils sont plutôt bons, en plus.

— Bons ? Tu rigoles ! Ils sont géniaux. Genre, c’est le jour le plus génial de la vie de Link.

Tout cela était complètement fou. Les Crucifix Vengeurs, Link, la bringue. Ridley qui sautillait sur la scène en léchant sa sucette. Pas le plus fou de ce dont j’avais été témoin ce jour-là, mais pas loin.

Aussi, quand nos cinq minutes de danse se sont transformées en vingt-cinq puis en cinquante-cinq minutes, ni Lena ni moi n’y avons prêté attention. Le temps s’était arrêté – du moins, telle était notre impression. Nous avions l’occasion de danser, il fallait la faire durer le plus longtemps possible, des fois que nous n’en ayons pas d’autres à l’avenir.

De son côté, Larkin n’était pas pressé de rentrer non plus. Il était enchevêtré dans Emily, qu’il embrassait et pelotait près d’un des feux de camp que quelqu’un avait allumés dans de vieilles poubelles en métal. Emily portait la veste de Larkin qui, de temps en temps, découvrait son épaule pour lui lécher le cou. Pas très ragoûtant. Ce type était un véritable serpent.

— Larkin ! a crié Lena. Elle n’a que seize ans !

Il lui a tiré la langue, une langue bien plus longue que celle de n’importe quel Mortel. Emily n’a pas semblé s’en rendre compte. Se dégageant de l’étreinte du jeune homme, elle a fait signe à Savannah qui dansait en compagnie de Charlotte et d’Eden.

— Venez, les filles ! On va donner son cadeau à Lena.

D’un sachet argenté, Savannah a sorti un petit emballage argenté ficelé par du ruban argenté.

— Ce n’est rien du tout, a-t-elle dit en le tendant.

— Toutes les filles devraient en avoir un, a renchéri Emily.

— Le métal va avec tout ! s’est écriée Eden qui paraissait avoir du mal à ne pas déchirer le papier elle-même.

— Il est juste assez grand pour que tu y mettes ton mobile et ton rouge à lèvres, a précisé Charlotte en fourrant le paquet entre les mains de Lena. Allez, ouvre-le.

Lena s’est emparé du présent et leur a souri.

— Savannah, Emily, Eden, Charlotte, vous n’avez pas idée de ce que cela représente pour moi.

L’ironie de la phrase leur est passée largement au-dessus de la tête. Ce qui n’a pas été mon cas.

Le comble de la stupidité.

Lena a évité de croiser mon regard, sinon nous aurions tous deux éclaté de rire. Nous sommes repartis dans la foule des danseurs. Au passage, Lena a jeté au feu la petite boîte argentée. Les flammes jaune et orange ont dévoré l’emballage jusqu’à réduire en cendre le sac à main métallique.

Les Crucifix Vengeurs se sont accordé une pause. Link en a profité pour se vautrer dans la gloire de ses débuts musicaux.

— Je t’avais bien dit qu’on était bons, a-t-il plastronné. Le contrat avec une grosse boîte de prod’ n’est pas loin.

Il m’a assené un coup de coude dans les côtes, comme au bon vieux temps.

— Tu avais raison, mon pote. Vous êtes super.

Force m’était de le reconnaître, quand bien même il avait la sucette de son côté. Savannah Snow s’est approché de nous d’un pas guilleret, sûrement dans le but de démolir la joie de Link.

— Salut, Link, a-t-elle lancé en battant des paupières de manière suggestive.

— Salut, Savannah.

— Tu m’accorderais une danse ?

Incroyable ! Elle le couvait des yeux comme s’il était une vraie star du rock.

— Si tu refuses, je ne m’en remettrai pas, a-t-elle enchaîné avec un sourire de Reine des Neiges.

J’ai eu le sentiment d’être pris au piège d’un des rêves de Link. Ou de Ridley. En parlant du loup…

— Bas les pattes, petite reine, est intervenue Ridley. Ce gars est à moi.

Elle a enroulé un bras, ainsi que d’autres parties vitales de son corps, autour de Link, histoire d’enfoncer le clou.

— Désolé, Savannah, a lâché le héros de la soirée. Une autre fois, peut-être.

Fourrant ses baguettes dans sa poche arrière, il a suivi Ridley et ses pas de danse classés X pour se joindre à la foule des fêtards. C’était sûrement le zénith de son existence. Son propre anniversaire, en quelque sorte.

Lorsque le morceau s’est achevé, il a de nouveau bondi sur scène.

— Nous avons une dernière chanson, a-t-il annoncé. Elle a été écrite par une de mes très chères amies, pour un élève de Jackson très spécial. Les personnes concernées se reconnaîtront.

Les projecteurs se sont éteints. Link a baissé la fermeture de son sweat-shirt. Les lampes se sont rallumées au premier accord de guitare ; il portait un des tee-shirts des Anges Gardiens dont il avait arraché les manches. L’effet qu’il recherchait avait été atteint – il était ridicule. Si seulement sa mère avait pu le voir ! Il s’est penché sur le micro et a entrepris de lancer son petit sortilège à lui.

 

Toute une armée d’anges déchus,

Le mal n’engendre pas le bien,

Tes flèches au vol brisé me tuent,

Pourquoi, pourquoi ne vois-tu rien ?

Ce que tu hais est ton destin,

Ta destinée, Ange Déchu.

 

La chanson de Lena. Celle qu’elle avait écrite pour Link.

Tandis que la mélodie enflait, tous les Anges Gardiens dûment affiliés se balançaient au rythme du pamphlet qui leur était destiné. Fallait-il y voir la main de Ridley ? Peut-être. Peut-être pas. En tout cas, le morceau achevé, quand Link a jeté son tee-shirt ailé au feu, j’ai eu l’impression que ce n’était pas la seule chose qui subissait un autodafé ce soir-là. Tout ce qui avait été si dur, si insurmontable, pendant tant de mois, est parti en fumée.

Longtemps après que les Crucifix Vengeurs ont eu fini de jouer, alors que Ridley et Link s’étaient volatilisés, Savannah et Emily ont continué d’être sympa avec Lena, mes anciens coéquipiers se sont soudain remis à m’adresser la parole. J’ai cherché un signe, une sucette. Le seul fil capable de détricoter tout le pull.

En vain. Il n’y avait que la Lune, les étoiles, la musique, les lumières et la foule. Lena et moi avions cessé de danser mais étions encore accrochés l’un à l’autre. Nous tanguions sur place, et des bouffées de chaleur et de froid, d’électricité et de peur parcouraient mes veines. Tant que des chansons berçaient l’atmosphère, nous étions dans notre propre bulle. Nous n’étions plus dans notre petite grotte douillette, ce qui n’empêchait pas l’instant d’être parfait.

Lena s’est doucement écartée de moi, comme elle le faisait quand quelque chose la tracassait, et elle m’a fixé des yeux. L’air de me voir pour la première fois.

— Qu’y-a-t-il ?

— Rien. Je…

Nerveuse, elle s’est mordu la lèvre avant de respirer un bon coup.

— Juste un truc que je veux te dire.

J’ai essayé de lire ses pensées, de déchiffrer son expression. Je commençais à croire que nous étions revenus à la semaine précédant Noël, aux couloirs de Jackson, loin de Greenbrier. Je l’enlaçais toujours et j’ai dû résister à l’envie de la serrer plus fort pour m’assurer qu’elle ne m’abandonnait pas.

— Quoi ? Tu peux tout me dire.

Elle a plaqué ses paumes sur mon torse.

— Au cas où les choses tourneraient mal, cette nuit, je tiens à ce que tu saches…

Elle a plongé son regard dans le mien, et j’ai entendu ses mots aussi clairement que si elle les avait chuchotés à mon oreille. La différence, c’est qu’ils étaient encore plus lourds de sens que si elle les avait formulés à haute voix. Elle les a dits de la seule façon qui importait pour nous deux. De la façon qui nous avait permis de nous trouver dès le début. De la façon qui nous permettait de toujours nous retrouver.

Je t’aime, Ethan.

L’espace d’une seconde, j’ai été pris de court, car « Je t’aime » ne me semblait pas suffisant. La phrase ne traduisait pas tout ce que j’avais envie de révéler – qu’elle m’avait sauvé de cette ville, de ma vie, de mon père. De moi-même. Comment trois petits mots pourraient-ils retranscrire tout cela ? Ils ne le peuvent pas. Pourtant, je les ai prononcés. Parce que je les pensais.

Je t’aime aussi, L. Je crois que je t’ai toujours aimée.

Elle s’est de nouveau blottie contre moi, sa tête sur mon épaule, ses cheveux tièdes contre mon menton. J’ai alors senti autre chose. La part d’elle que j’avais eu peur de ne jamais réussir à atteindre, celle qu’elle dissimulait au monde entier. Je l’ai sentie s’ouvrir, juste assez longtemps pour que je l’entrevoie. Elle me donnait un morceau d’elle-même, le seul qui soit à elle, véritablement. J’ai voulu me rappeler cette émotion, ce moment, comme un instantané vers lequel je pourrais me retourner dès que l’envie m’en prendrait.

J’ai souhaité que cela dure une éternité.

Il s’est révélé par la suite qu’on ne m’accordait que cinq minutes supplémentaires, montre en main.

16 Lunes
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